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Profession historienne? Les femmes dans la production et la diffusion des savoirs historiques au Canada français, XIXe et XXe siècles

Colloque en format hybride

les 7 et 8 octobre, 2021

Auditorium de la Grande Bibliothèque, Montréal

Programmation et inscription

« “Rien n’est beau que le vrai”. C’est la devise de la Société historique de Montréal, elle devient mienne dorénavant [1] ». En prononçant ces mots en 1917, Marie-Claire Daveluy devenait la première femme à franchir les portes d’un cénacle fondé au siècle dernier et resté jusqu’alors exclusivement masculin. Tout comme Daveluy, plusieurs femmes ont pris part à la construction et à la diffusion du savoir historique au cours des XIXe et XXe siècles. La plupart, cependant, n’ont pu bénéficier de conditions de production favorables ni occuper des rôles de premier plan leur permettant de jouir d’une postérité plus grande.

Profitant de l’effervescence de la réflexion historiographique actuelle, ce colloque, qui sera suivi de la publication d’un ouvrage collectif, veut précisément mettre en lumière les diverses formes de participation et de contribution des femmes du Canada français au dynamisme d’un champ historique en constante métamorphose. La consultation des principaux traités d’historiographie (Gagnon, 1978 et 1997; Lamarre, 1993; Rudin, 1998) ou des anthologies (Bédard et Goyette, 2006) pourrait décourager quiconque d’une telle entreprise. Les seules figures féminines ayant droit de cité au panthéon historiographique semblent ces rares académiciennes ayant réussi à percer le fameux plafond de verre. À lire les noms des Louise Dechêne, Micheline Dumont et Nadia Fahmy-Eid, par exemple, on mesure certes la valeur de leur contribution, mais aussi la légèreté du poids des femmes dans la mémoire historiographique du Québec et du Canada français.

Le rapport des femmes à la connaissance historique ayant été marqué par des logiques d’exclusion, certaines études enjoignent à revoir les aprioris méthodologiques afin d’appréhender plus astucieusement leur contribution en contournant le problème de l’invisibilisation. C’est à une sorte de déconstruction de la figure classique de l’historien qu’invite un tel constat. Isabelle Ernot (2007 et 2009), dans ses travaux portant sur les historiennes françaises du XIXe et premier XXe siècle, insistait sur la nécessité d’élargir la définition même du terme d’« historienne » pour ne plus le réserver qu’aux seules professionnelles diplômées et rattachées aux universités. Trop de poissons s’échapperaient d’un tel filet. Ses recherches, comme celles d’autres chercheuses et chercheurs qui abordent la place des femmes dans la discipline historique, permettent d’éclairer les contraintes liées à leur insertion. Pour le Canada anglais, Donald Wright a éloquemment montré comment la professionnalisation de la pratique historienne s’est accompagnée d’un mouvement moins glorieux de masculinisation. Alors que les femmes étaient présentes dans les sociétés savantes à vocation historique depuis la fin du XIXe siècle, celles-ci se sont vues progressivement exclues au moment de la mise en place des institutions professionnalisantes comme la Canadian Historical Review (1920), la Canadian Historical Association (1922) et les départements universitaires (Wright, 2000).

On comprend, dès lors, que pour saisir la place et le rôle de femmes dans le développement et la diffusion du savoir historique, l’investigation doit être conduite, en bonne partie du moins, à l’extérieur des murs de l’académie ou à ses marges. Une intéressante piste à explorer est celle proposée par Donica Belisle et Kiera Mitchell dans leur étude récente de la figure de Mary Quayle (2018). À partir des documents personnels de l’épouse d’Harold Innis, les auteures soutiennent que le prestige de la carrière du théoricien du staple est en partie redevable au support à la fois domestique, social et intellectuel de sa compagne. Une telle démonstration rejoint les conclusions de Nathalie Zemon Davis (2017) sur la place des femmes dans le cercle des Annales ESC en France dans les années 1930. « À bien des égards, constatait Davis, le groupe interdisciplinaire des Annales reste une “fraternité masculine”, mais cette dernière repose singulièrement sur le travail bénévole ou rémunéré de femmes bien éduquées ».

Le versant positif de ce rapport d’exclusion, s’il en est un, est sans aucun doute l’usage stratégique que les femmes ont pu faire de l’histoire pour l’avancement de leurs droits. Beverly Boutillier (1997) a souligné, par exemple, que des membres de sociétés d’histoire féminines du début du XXe siècle à Ottawa et à Toronto étaient aussi engagées au sein du National Council of Women. Maillant ces deux engagements, elles ont mobilisé des modèles du passé, telle Laura Secord, en faveur de leurs revendications féministes. On observera évidemment un mouvement similaire dans les années 1970-1980, alors que l’histoire des femmes s’affirme comme sous-champ disciplinaire accrédité. Les études sur l’écriture des femmes et leur participation au domaine des arts (Smart, 1998; Savoie, 2014) sont aussi d’une grande utilité pour penser les conditions qui activent les mécanismes de la reconnaissance ou de l’oubli s’agissant des historiennes d’autrefois. Les auteures nous invitent à prêter attention aux modes d’expression et aux canaux de diffusion historiquement empruntés par les femmes et à situer ceux-ci dans la hiérarchie spécifique, sociosexuée, de leur champ de production. Ces analyses offrent des pistes stimulantes pour déjouer la construction genrée du champ de la pratique historienne et comprendre l’effacement mémoriel de certaines de ses ouvrières. De manière consciente ou non, les femmes ont-elles investi des formats moins prestigieux ou plus éphémères? Aux côtés de figures mieux établies, qui retiennent certainement l’attention, se trouvent plusieurs praticiennes n’ayant pas investi à hauteur suffisante les formes canoniques d’expression disciplinaire — la monographie d’histoire, l’article scientifique ou la synthèse d’histoire du Canada — mais dont la contribution mérite d’être mieux reconnue et étudiée.

Ainsi, ce colloque espère-t-il œuvrer à l’identification puis à l’analyse de la diversité des modes d’expression et des canaux alternatifs de diffusion empruntés par les femmes qui se sont adonnées à la pratique de l’histoire. Par-là, il espère contribuer, plus largement, à une réflexion sur les modalités de la professionnalisation du métier d’historien et de la construction du champ historiographique, dont les logiques sous-jacentes sont toujours le produit de « métissages entre pratiques profanes et savoirs établis » (Fauvel, Coffin, Trochu, 2019). Cet effort nous paraît autrement plus important dans le contexte canadien-français où l’institutionnalisation de la science historique en milieu universitaire survient plus tardivement qu’au Canada anglais. L’étude de son processus de disciplinarisation, en effet, ne peut faire l’économie d’une investigation extra-universitaire où les femmes ont, à maintes occasions, joué un rôle structurant (Régimbald, 1997).

[1] Archives de la Ville de Montréal, extrait du discours prononcé par Marie-Claire Daveluy lors de son intronisation à la Société historique de Montréal en 1917.