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Aktuelles Call for Papers

Appel à communications : Colloque Maternités dystopiques en fiction contemporaine

Université du Québec à Montréal

4-5 mai 2023

Date butoir : 1 décembre 2022

Le 24 juin dernier, moment où la Cour Suprême des États-Unis décide d’annuler l’arrêt Roe v. Wade, qui protégeait le droit à l’avortement sur l’ensemble du territoire depuis 1973, des protestations émergent des médias sociaux, rappelant les dénonciations entraînées par la vague #MeToo. Les plus frappantes sont les courtes vidéos produites par des milliers de femmes qui racontent leur agression en terminant avec la mention « Keep your laws off my body », affirmation visant à dénoncer les politiques de certains États américains qui refusent le droit à l’avortement aux femmes. Publiées de mai 2022 – moment de la fuite d’un document de la Cour suprême – à juin 2022, ces vidéos rappellent « que les circonstances [qui mènent à une interruption de grossesse] ne peuvent pas toujours être contrôlées et que des grossesses inattendues se produisent – dans certains cas, de manière non consensuelle » (Popsugar, 2022, notre traduction).

Dans des messages publiés sur Facebook et Instagram, plusieurs femmes font allusion au roman The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood pour dénoncer les conséquences de cette mesure antiavortement. L’œuvre, publiée en 1985, ironiquement prémonitoire de l’avenir du droit des femmes, devient rapidement l’emblème des mouvements de contestation. De partout, les femmes partagent leur consternation: sommes-nous au cœur d’un roman dystopique? Sommes-nous à Gilead? De l’autre côté de la frontière canadienne, des femmes manifestent même vêtues de longues robes rouges et de chapeaux à œillères blancs qui reprennent les costumes portés par les servantes dans la série télévisée adaptée du roman (La Presse, 29 juin 2022). Atwood n’est pas la seule à être citée. D’une manière similaire, plusieurs publications évoquent Parable of the Sower, roman dystopique d’Octavia Butler, soulignant que les conséquences d’un tel changement politique touchent les droits de toutes les femmes et ont des impacts sur la vie des femmes racisées.

Si la dystopie propose « des contes d’avertissement se déroulant dans un futur aux caractéristiques reconnaissables » (Basu, Broad et Hintz, 2014, p. 159, notre traduction) qui imaginent l’avenir tout en considérant le présent dans une perspective critique (Lebel, 2018, p. 13), les frontières entre la dystopie et le réel sont ici très minces. Plusieurs questions se posent alors : la dystopie appartient-elle vraiment à une représentation futuriste – mais grossie, extrême – de notre société ou s’en rapproche-t-elle plus que l’on pense? Quelles sont les frontières entre la dystopie et le réel? Doit-on revoir la définition de la dystopie en regard des enjeux contemporains entourant le corps des femmes? Et plus encore, comment la fiction dystopique est-elle réinvestie pour souligner les déraillements de l’actualité?

Maternités dystopiques

La figure de la mère ainsi que la maternité sont de plus en plus présentes dans les genres de la dystopie et de la science-fiction. Les servantes de The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood en sont un exemple, mais d’autres romans – Herland de Charlotte Perkins Gilman, de Chronique du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg, de Red Clocks de Leni Zumas et de L’Ordre et la Doctrine de Marie-Josée Martin, etc. – mettent aussi en scène la maternité, dans une multitude de représentations, dont plusieurs sont contraignantes et oppressives. Souvent, c’est autour du corps maternel que se structurent les contraintes totalitaristes des sociétés représentées, comme la surveillance, la dégradation physique et le contrôle de la population. Cela nous amène à interroger le corps féminin comme lieu en soi de la dystopie ainsi que comme lieu de configuration des rapports de pouvoir.

Selon Renae L. Mitchell, dans son ouvrage Maternity in the Post-Apocalypse. Novelistic Re-visions of Dystopian Motherhood, « [q]uel que soit le cadre dystopique dans lequel elles apparaissent, les femmes enceintes, les mères avec des nourrissons ou les mères avec des enfants sont rarement, voire jamais, des personnages centraux dotés d’un pouvoir d’action dans le monde post-apocalyptique » (2021, p. 2, notre traduction). Plusieurs n’ont pas d’importance narrative et sont « assujetties dans un monde où leur fertilité est un moyen d’exploitation et un outil utilisé par les personnages masculins pour prendre le contrôle du futur » (p. 3, notre traduction).

Selon Mitchell, la perception des personnages maternels serait en train de changer dans la production littéraire actuelle. Si certaines œuvres font déjà des mères des figures positives, la tendance semble s’être accentuée dernièrement. En effet, les mères sont amenées à passer du statut de victime à celui de protagoniste (2021, p. 3) et à agir plus positivement sur le récit, jusqu’à en devenir le moteur principal (p. 3). Ces représentations arrivent-elles réellement à déjouer les mécanismes dystopiques qui opèrent un contrôle et une surveillance du corps des femmes? Et qu’en est-il des stéréotypes de genre? Les représentations des mères s’éloignent-elles des valeurs traditionnelles, comme c’est par exemple le cas avec l’association entre maternité et soin, ou bien les reprennent-elles? D’autres œuvres, telles que The Deep de Rivers Solomon, s’intéressent aux représentations de mères racisées, vivant une double oppression raciale et sexuelle. Alors devenues des sirènes, les futures mères du roman de Solomon sont jetées à l’eau lors de la traite esclavagiste. Au fil des années, ces mères et leurs enfants ont créé une société alternative, logeant au fond de l’océan, pour oublier l’histoire violente et traumatisante qu’elles ont vécue durant cette période. Grâce à une protagoniste qui agit à titre d’historienne du peuple, la mémoire collective est conservée par la transmission. Ce type de roman n’est pas sans rappeler le mouvement afrofuturiste décrit par Mark Dery comme « speculative fiction that treats African-American themes and addresses African-American concerns in the context of 20th century technoculture — and more generally, African-American signification that appropriates images of technology and a prosthetically enhanced future » (1994, p.180). L’afrofuturisme permet également, selon Ytasha Womack dans son ouvrage Afrofuturism : The World of Black Sci-Fi and Fantasy Culture, d’offrir un espace pour la création de récits alternatifs qui se détachent des représentations habituelles : « Creating stories with people of color in the future defies the norm. With the power of technology and emerging freedoms, black artists have more control over their image than ever before » (2013, p. 24). Dans cette perspective intersectionnelle, comment les mères racisées se réapproprient leur corps ? Font-elles émerger un espace alternatif qui leur permet, à elles, mais également à leur histoire, d’exister? Comment se positionnent-elles face à un monde dystopique qui tente de taire leur double oppression?

Finalement, quels sont les moyens mis en place par les mères oppressées pour reprendre le contrôle de leur existence? Dans une perspective de solidarité et d’amitié, nous pouvons également penser aux mères qui s’allient contre les renversements politiques qui touchent leur corps et leur agentivité. Selon Janice G. Raymond, dans son ouvrage A Passion for Friend : Toward a Philosophy of Female Affection, « the best feminist politics proceeds from a shared friendship » (1986, p. 9). Comme exemple, pensons aux servantes dans The Handmaid’s Tale qui, malgré les restrictions qui entourent leur statut, réussissent tout de même à créer un réseau de soutien caché, manifestant par cela leur agentivité. Dans d’autres œuvres, comme c’est le cas notamment dans Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg ou L’Ordre et la Doctrine de Marie-Josée, les mères se regroupent et mènent la société – bien que, dans certains cas, cela se passe au détriment des hommes. Que dire de ce pouvoir que l’on met entre les mains des femmes qui enfantent? Comment les mères se positionnent-elles dans cet ensemble-maternel face aux politiques qui briment leur corps? Les mères sont-elles vraiment libérées des constructions de genre liées à leurs capacités reproductives?

À l’occasion de ce colloque, nous désirons étudier les représentations dystopiques des mères et de la maternité en fiction contemporaine. Plus précisément, nous désirons explorer l’expérience corporelle des femmes sous les régimes totalitaires représentés dans les romans dystopiques contemporains, mais aussi, étudier les romans qui prennent comme objet les mères ou la maternité dans les genres de la dystopie, de la science-fiction ou de la fiction spéculative, de manière plus générale. Nous vous invitons à explorer ces pistes de recherche, mais sans vous y restreindre:

>Femmes réduites à des objets reproductifs

>Changements dans la manière de vivre la maternité, redéfinition de la maternité

>Oppression vécue par les femmes en fiction

>Sexualité, avortement

>Maternités idéalisées

>Reproduction ou subversion des représentations maternelles traditionnelles

>Absence de liberté

>Contrôle de la reproduction par les autorités

>Alliances et amitiés entre mères

>Figures intersectionnelles des mères

> Reproduction alternative

> Impact de la dystopie sur le réel

Les propositions de communication doivent inclure un titre et un résumé (250 mots), ainsi qu’une biobibliographie de quelques lignes de l’auteur.trice (affiliation académique ou institutionnelle, principaux axes de recherche, publications majeures).

Les propositions doivent être envoyées aux organisatrices du colloque aux adresses gingras-gagne.marion@courrier.uqam.ca et giroux.alexia@courrier.uqam.ca avant le 1er décembre 2022.

Comité d’organisation (ordre alphabétique)

Marion Gingras-Gagné – Université du Québec à Montréal (CRILCQ, IREF)

Alexia Giroux – Université du Québec à Montréal (CRILCQ, IREF)

Bibliographie

Andrews, Taylor, « TikTok Users Are Sharing Their Sexual-Assault Stories to Advocate For Abortion Acces », Popsugar, 11 mai 2022.

Basu, Balaka, Katherine R. Broad et Carrie Hintz (dir.), Contemporary Dystopian Fiction/or Young Adults: Brave New Teenagers, New York, Routledge, 2014 [2013].

Dery, Mark, « Black to the Future : Interviews with Samuel R. Delany, Greg Tate, and Tricia Rose », Mark Dery (dir.), Flame Wars : The Discourse by Cyberculture, Durham, Duke University Press, 1994, p. 179-222.

Hébert-Dolbec, Anne-Frédérique, « La Servante écarlate », roman prémonitoire? », La Presse, 29 juin 2022.

Lebel, Jean-François, « La compétition entre les personnages féminins dans la littérature dystopique pour adolescent·e·s: Only Ever Yours (2014) de Louise O’Neill », Mémoire de maîtrise, Département d’études littéraires, Université du Québec à Montréal, 2018, 115 f.

Mitchell Renae L., Maternity in the Post-Apocalypse. Novelistic Re-visions of Dystopian Motherhood, NewYork, Lexington Books, 2021, 162 p.

Raymond, Janice G., A Passion for Friend : Toward a Philosophy of Female Affection, Boston, Beacon Press, 1986, 275 p.

Womack, Ytasha, Afrofuturism : The World of Black Sci-Fi and Fantasy Culture, Chicago, Lawrence Hill Books, 2013, 213 p.